Sur les Faits Divers

Étude d'une affaire de mœurs sous le Second Empire

Au 19e siècle, les amours ancillaires sont nombreuses. Le cas le plus illustre est celui de Zola qui prend pour maîtresse sa blanchisseuse, l'installe avec ses enfants de 1892 à 1895 à Triel et entoure de ses soins et de son affection cette deuxième famille.

 

Mais d'autres servantes craignant d'être congédiées, tantôt par leur patron si elles se refusent à lui, tantôt par leur patronne si l'adultère est découvert, consentent à des liaisons ou y sont forcées. Une affaire de viol a ainsi défrayé la chronique à Triel sous le Second Empire.

Les faits

Elisa L. 15 ans entre en mars 1858 comme domestique chez les époux G. à Triel. Dès son arrivée, elle refuse les propositions du mari âgé de 31 ans. Puis le 6 avril, elle parvient à se soustraire à un attentat à la pudeur avec violence. Le 8 avril, le sieur G. jette sur le sol de la buanderie la jeune fille qui hurle mais en vain. Victime du dernier outrage, la petite est abandonnée par son agresseur..

L'affaire dans son contexte

La lecture de ce dossier judiciaire m'a inspiré quelques réflexions.

 

Le Second Empire fut fustigé sans doute exagérément pour son conservatisme étroit et son cléricalisme forcené. Il est vrai que, dans notre affaire, le souci du qu'en dira-t-on caractérisa, au tout début, l'attitude des deux parties: les époux G. « unirent leurs supplications pour obtenir d'elle (la servante) le silence absolu ». Le père d'Elisa lui-même « hésitait à dénoncer G. à la justice dans la crainte qu'un éclat n'entraînât des conséquences fâcheuses pour l'avenir de sa fille ».Alors pourquoi les protagonistes se sont-ils retrouvés devant les Assises de Versailles ? Le père d'Elisa a déposé plainte dès qu'il eut appris que, le lendemain même du crime, l'accusé s'était vanté, en présence de plusieurs témoins, d'avoir obtenu les faveurs de la victime (et il n'était pas le premier, ajoutait-il).

 

Mais sous ce régime accusé d'être bourgeois et autoritaire, il convient de remarquer le crédit absolu accordé par la justice aux accusations de la petite servante. « Il (G.) a soutenu qu'il ne s'était rendu coupable d'aucun attentat envers Elisa malgré tous les détails donnés, en sa présence, par cette jeune fille au magistrat instructeur... il n'y a évidemment pas lieu, dans ces circonstances, de s'arrêter à pareilles dénégations. » Il est aussi question de «  la sincérité de la déposition d'Elisa. »

 

Ce crédit s'appuie sur la qualité d'une enquête judiciaire qui a fait procéder à un examen médical de la jeune fille dont le viol est confirmé par le praticien en des termes très circonstanciés.

 

J'ai été frappée également par la compassion et le respect quasi-affectueux à l'égard de la domestique. Dans l'acte d'accusation, cette dernière est citée sous son seul prénom ou sous l'expression: jeune fille. Il est dit qu'elle «  opposa une énergique résistance » à son agresseur mais que « ses forces la trahirent » et qu'elle subit « un odieux traitement ».

 

L'absence de neutralité juridique s'applique également à l'accusé mais le ton, à l'inverse de l'empathie à l'égard de la victime, souligne le mépris pour la veulerie de son agresseur: G. se porte « aux actes les plus criminels ». Il tient « d'ignobles propos » qui provoquent « la légitime indignation » du père.

 

Sont aussi mis en exergue la maturité et le courage d'Elisa. Elle repousse les avances « en affectant de les considérer comme de grossières plaisanteries ». Elle révèle à l'épouse ce qui s'est passé. Elle refuse de promettre le silence et prévient ses parents qui viennent la chercher. Enfin elle maintient sa déclaration avec « persistance ».

 

G. a été condamné à six ans de réclusion. Or ce verdict me semble étonnamment lourd, alors que le jury était composé uniquement d'hommes, propriétaires ou rentiers pour la plupart, comme c'était l'usage à l'époque.

 

.Aussi surprenant que cela puisse paraître, la petite servante à gages âgée de 15 ans est parvenue à vaincre les tabous et les diktats d'une société impériale masculine et très hiérarchisée.

Françoise et Jean-Claude, d'après archives 2 U 458.

 

 

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