ARLETTE LOUIS – Née LE BRIQUER. Mon enfance et la guerre...
Je suis la petite-fille d’Eugène PREVOST, cultivateur à Pissefontaine, qui s’était marié à Mademoiselle Henriette MORINEAU, de Pissefontaine également. Sa sœur, Marcelline PREVOST tenait à la gare, le Café Le Bellevue.
Sa fille Marcelle est née en 1907. C’était ma maman. Elle s’est mariée à mon père, Roger LE BRIQUER, de trois ans son aîné. Ses parents étaient arrivés à Maurecourt avec neuf enfants, sur les treize mis au monde par ma grand-mère paternelle. Mon père a fait pendant son service militaire en 1923/24, la guerre d’Abdel Krim. Et mon grand-père paternel est mort en 1929.
Moi, je suis née en 1929, le 3 août, au 6 rue des Tournelles. De mon enfance, quelques souvenirs restent très marqués : à six ans, celui de la mort de mon arrière-grand-mère, Emma MORINEAU, que j’aimais beaucoup et l’année d’après, la naissance de ma sœur Claudette, en 1936. De l’école maternelle, je garde un souvenir un peu douloureux : celui de la punition à genoux sur le tapis brosse… Puis, je fréquente la grande école des filles, rue des Créneaux, dans la classe de Mademoiselle NIVET ; c’est là que je rencontre Claudine WATTIEZ, une voisine arrivée à Triel en 1937. Je me souviens très bien des institutrices, Melle BARBIER était Directrice et les maîtresses Melle TISSIER et surtout Melle MAZUIR. Celle-ci était très sportive. Elle nageait chaque matin, mais en 1942, malgré son entrainement, elle s’est noyée en Seine, à la sortie du puits artésien, prise dans les grandes herbes qui se développaient avec la chaleur de l’eau. C’était une maîtresse femme très patriote qui avait fait chanter la Marseillaise aux enfants…plutôt que « Maréchal, nous voilà », mais c’était la guerre et les allemands n’ont guère apprécié ! Je me souviens qu’elle dut cirer leurs bottes dans la gare toute une nuit !
En 1942, je passais mon certificat d’études. Très bien passé, même si on avait un peu la pétoche !
A la déclaration de guerre, en 1939, j’étais sur la plage, à Franceville, chez les LECOMTE et je me souviens du tocsin de cet après-midi-là…Nous y étions pour un mois de vacances…C’est le grand-père Charles LECOMTE qui nous gardait. C’est sa fille qui nous a dit de vite rentrer.
Papa est parti à la guerre dès la mobilisation générale et, à la demande de Maman, une photo a été prise avec nous devant la porte, mais je ne l’ai pas retrouvée... Il est caporal-chef, dans les Pionniers. Il est fait prisonnier à Saint-Dizier, et très vite Maman échafaude un plan d’évasion ! Elle part pour Saint Dizier avec des habits civils dans une valise ! Mais Papa refuse, estimant l’opération trop dangereuse.
Emmené vers l’Allemagne dans un train à bestiaux, il roule vers l’est…Peu avant la frontière allemande, il saute du train dans un virage, en profitant du ralentissement, en compagnie d’un alsacien qu’il a toujours cherché à revoir – un bon français, disait-il - mais sans succès ! (Son ami Gérard avait lui refusé de sauter, par peur des mitrailleurs…) Sain et sauf, il se cache et marchera - toujours de nuit, pour ne pas se faire repérer – jusqu’à Maurecourt, chez une de mes tantes, qui est venue prévenir Maman : « Tu sais, Roger est dans le grenier ! ».
Il se « planque », aidé par un certain «Marceau », une connaissance qui menait le double-jeu au nez des occupants, un gars qui travaillait au commissariat de Conflans. Papa est allé témoigner à son procès, après la Libération, car il avait été dénoncé comme collaborateur.
En 1929, papa a acheté une première batteuse, construit un hangar, et il travaille l’été dans les champs …et l’hiver, il apprend la maçonnerie à côté de M. LEMIRE, puis se met à son compte.
Il a eu jusqu’à trois batteuses, un tracteur et le tout était remisé ici et à Maurecourt. Mon père était très courageux et avait été habitué à travailler très tôt ! A onze ans, il allait seul jusqu’aux Halles de Paris et revenait sans encombre …le cheval connaissait le chemin !
Cependant, après cette évasion, il y avait un risque de réquisition. Maman va en vélo à Jouy le Moutier et M. GRAAL a accepté de louer « fictivement » le matériel pour qu’il ne soit pas pris par l’occupant …
Et « Marceau » fait les faux papiers de démobilisation pour permettre à Papa de pouvoir reprendre officiellement son matériel, battre la moisson et fournir le grain exigé par les allemands…
Puis, à la rentrée de l’année scolaire 1942/43, j’entre à l’Institut Professionnel féminin, rue du Rocher, à Paris. Ce n’est pas sans poser des problèmes de transport, car les trains ne circulent plus. Aussi, je pars en apprentissage chez Madame GUILLEMIN, gardienne du Manoir, pour apprendre la couture. Nous sommes six filles à y travailler. Le midi, nous avons deux heures pour remonter à Pissefontaine, et nous passons devant chez « Titine » FOUACHE, la mercière de la rue du Dé, où je suis chargée d’acheter les fournitures (fils, boutons, cannettes, etc.) C’était une véritable caverne d’Ali-baba !
Daniel BIGET, un garçon de notre âge, habite la villa « Les Figuiers », au 252 rue Paul Doumer et il nous regarde souvent passer… « Tiens, voilà les filles de Madame Guillemin… »
Après le débarquement du 6 juin 1944, l’avance des alliés se concrétise et les allemands ont donné ordre d’aller dans les carrières de Pissefontaine, pendant trois à quatre jours. On allait souvent dans les carrières, pour se mettre à l’abri, pendant les alertes. Le père de Claudine y avait même apporté un lit-cage. Et un jour, en ressortant, j’ai vu que les allemands étaient entrés dans l’enclos de la cour de la maison, 42 rue Saint Marc, et avaient coupé la tête des quatre oies que j’avais élevées depuis toute petite !
C’est avec Monsieur Louis TISSIER, le père de Jacqueline, que je suis allée, par les galeries, à la lueur de la lampe à carbure, embrasser les américains à Chanteloup ! C’étaient nos libérateurs…On a dansé une bonne partie de la nuit Place CORROYER, dans chacun des deux cafés ! L’un d’eux était « Chez M. WALLON ». C’était ma première autorisation de sortie ! J’avais quinze ans et demi !
Ici, la grange avait été « réquisitionnée » pour mettre à l’abri la voiture radio des allemands. Le matériel avait été déplacé à Maurecourt, dans la cour des parents. Il a fallu que nous allions vider le petit bois qui était au grenier et quand nous sommes passés, les filles, devant les jeunes soldats qui devaient nous trouver bien mignonnes, admirant les « Cholies Matmoizelles », ma mère qui n’avait peur de rien n’hésita pas à lancer : « C’est pas pour vos gueules ! »
Témoignage recueilli par Jean-Pierre HOULLEMARE, pour « TRIEL, MEMOIRE & HISTOIRE »