Les Mémoires Vives

Entretien avec Monsieur MORINEAUX

Entretien de Victoria Thomas et Florence Paillet avec M Morineaux, 71 ans, en juin 2015, chez lui, à Maurecourt.

 

Je suis né à Triel, plus précisément à Pissefontaine, chez mes parents, rue des Tournelles, le 11 septembre 1944. La maison n’existe plus.

Pissefontaine a été jusqu’à la révolution une commune libre, avec sa propre administration et l’origine de ce nom viendrait, d’après les anciens, de dix sources recensées dans le village. Mes aïeux auraient connu cet état car au vue de l’arbre généalogique réalisé par ma fille, notre famille, du côté paternelle, serait trielloise depuis 1505, par la branche de ma grand-mère, Claire Anguy.

Dans mon enfance, Triel était un village plutôt tranquille. Le pont avait été détruit pendant la dernière guerre et pour se rendre à Verneuil ou Vernouillet, il fallait prendre la passerelle ou le bac. La passerelle, au début, était à péage. Elle bougeait beaucoup et quand il y avait du vent, on évitait de la prendre. Les remorqueurs devaient baisser leur cheminée.

ID456 01 La Passerelle

La passerelle

  

Triel était aussi un village agricole. La culture de la vigne, anéantie par le phylloxéra et la concurrence des vins du sud, avait été remplacée par des cultures maraichères et fruitières. L’abricot de Triel était réputé.   

 

ID456 02 Ancienne Chapelle HautilAncienne chapelle de l'Hautil

Dans la plaine, on cultivait aussi un peu d’avoine pour pouvoir nourrir les chevaux, du blé, de l’orge. Avant, il existait des moulins avec de vrais meuniers. J’ai connu, dans les années 1950, les vestiges du moulin, celui situé au coin de la rue du même nom et de la rue de Chanteloup. Il mesurait plus de 10 mètres de haut. A son emplacement a été construite, il y a plusieurs années, une maison.

La présence des bois de l’Hautil a permis à de nombreuses familles de vivre. Certaines fabriquaient des échalas, d’autres des balais de bouleau tandis que les familles Fouache ou Roy, à Boisemont, exploitaient le bois.

Comme on parle de l’Hautil, pour moi, l’ancienne chapelle se trouvait à l’emplacement de celle actuelle, mais un peu plus au fond.

Mes ascendants étaient cultivateurs. Ils possédaient de nombreuses terres et maisons.

Mon père cultivait des légumes : asperges, haricots, choux, … et des fruits : abricots, pêches, prunes, … Comme beaucoup d’agriculteurs qui pouvaient en avoir 3 - 4, il avait des chevaux pour tirer toutes sortes de charrettes. Il vendait sa production à des approvisionneurs comme les Pirot ou les Faye qui eux la revendait aux Halles de Paris.

 

ID456 03 Diplome de merite de Marguerite Larcheveque

Diplôme de mérite de Marguerite Larchevêque

Ma mère, Marguerite Morineaux, Larchevêque de nom de jeune fille, était blanchisseuse. Elle travaillait à domicile et se rendait, selon les jours de la semaine ou du mois, chez les différentes familles qui faisaient appel à ses services. Comme on disait : « c’était une journalière ». Elle lavait au baquet, plus rarement au lavoir.

C’était une Maman exceptionnelle. Je conserve précieusement son diplôme de mérite pour l’année 1914 / 1915 qu’elle a obtenu à l’école libre d’Andrésy. Elle avait reçu le 1er prix en histoire, en géographie et en écriture et le 2è prix, en honneur, catéchisme, arithmétique et exactitude.

 

ID456 04 Mairie de Triel

La mairie et la porte à droite, l'entrée de l'école des garçons

   

ID456 11 Remi Barrat

Rémi Barrat

L’école des filles était rue des Créneaux. Moi, je suis allé à l’école des garçons, située à droite de la mairie. On pouvait y rentrer par l’actuelle place Charles de Gaulle ou par la rue du Pont, deux classes en fibrociment avaient été aménagées dans la cour, perpendiculaires au bâtiment. M et Mme Chevaux y tenaient fermement leurs élèves, tout comme les autres instituteurs, M Dulac ou Rémi Barrat, … Par la suite, une ou deux salles de maternelle ont été créées sous la mairie.

Les classes étaient chauffées avec des poêles à charbon. Une des punitions infligées par les instituteurs consistaient à se rendre dans la soute et à remonter le combustible pour nourrir ces ogres de feu.

Quel travail ! Surtout pour éviter de se salir.

 

ID456 05 Puits artesien

Baignade au puits artésien

Les jours de congés, le jeudi et le dimanche, je les passais avec mes copains. Nous allions nous baigner au puits artésien ou ramasser des champignons dans la forêt ou s’amuser dans les bois ou autour du lavoir, Grande Rue de Pissefontaine. J’ai failli, une fois, m’y noyer.

Une source venant de l’Hautil apportait l’eau qui descendait ensuite dans la Seine. Le lavoir, considéré comme trop dangereux, a été enfoui sous une dalle de ciment dans les années 1970 et il y a, à la place, « un magnifique » parking.

Pour gagner quelques sous, nous allions travailler dans les champs. En automne, on ramassait les artichauts, les choux, en été, les fruits. On avait le droit de conduire les chevaux. Parfois, on était payé en nature, quelques fraises, quelques poireaux, …

On allait aussi pêcher le goujon, l’ablette, le gardon. On se fournissait chez « Brico », un marchand d’articles, au coin de la rue Paul Doumer et de la rue du Four, sur l’angle opposé, c’était une boucherie qui appartenait à la famille Noel.

Avec des copains, on avait construit des genres de traîneaux, des caisses à savon avec des roulements à billes pour roues. On descendait à fond la caisse, du haut de la rue des Tournelles, en passant par la rue du lieutenant Leconte, la rue du Pavillon, pour arriver rue Paul Doumer. Un jour, M Marécaux, le marchand de bois et charbon, avec son camion, a failli écraser l’un de nous. Il a eu tellement peur qu’il est descendu de son camion, a ramassé tous les traîneaux, les a mis sous les roues de son camion et les a rendus inutilisables.

J’étais aussi inscrit au patronage avec mes frères. Il existait un patronage « garçons » et un « filles ». On apprenait à tout faire, du feu, des nœuds, du ciment, un peu comme les scouts, maintenant.

Un jour, un de mes frères, au lieu d’aller au patronage, s’est rendu au marché, en bord de Seine.

Cette escapade est arrivée à la connaissance du curé qui l’a rapportée à mon père. Mon frère n’a pas oublié la correction reçue.

 

ID456 06 Marche de Triel

Marché de Triel en bord de Seine

Les curés avaient aussi « la baffe » facile. Nous devions assister à la messe. Nous portions des pantalons courts et J’avais dans ma poche des « yousses », des billes en acier. J’aimais les tripoter mais pendant l’office, il y en a une qui s’est échappée de ma main et est tombée sur le sol en pierre. Elle a ricoché sur plusieurs mètres. Je l’ai sentie passer. Je ne suis plus retourné, après, au patronage.

Les curés, à l’époque, portaient la soutane et se déplaçaient en vélo. Il y en avait un qui avait toujours l’habitude d’arriver à la maison au moment du repas…

 

ID456 07 Maison Emile Prudhomme

Maison de M Emile Prudhomme

Vers 14 – 15 ans, avant de suivre ma formation de tailleur de pierres, j’ai travaillé chez M Roger Lemire, le maçon.

Il y avait aussi comme maçon, rue de l’Hautil, M Stephani, M Legendre, un forgeron, au bas de la rue des Créneaux et comme maréchal ferrant, M Cinié et M Jamet. Je suis allé à l’école avec le fils Jamet.

Donc avec M Lemire, on a fait un chantier chez Emile Prudhomme, l’accordéoniste, au 187 rue Paul Doumer, la villa Lisley. De temps en temps, il nous jouait de la musique. Il arrivait avec son accordéon, une bouteille de champagne dessus et des verres dans ses poches. Il avait une bonne descente.

Une autre fois, j’ai travaillé dans le jardin de la propriété d’Octave Mirbeau à Cheverchemont. La maison avait été louée par Eddie Barclay qui y recevait toute sa clique dont Eddie Constantine, Eddy Mitchell, …

Mon « armée » a duré 18 mois. J’ai eu beaucoup de chance, je n’ai pas participé à la guerre d’Algérie, c’était limite.

Avant de partir, tous les conscrits organisaient une fête et on élisait une marraine, une Madelon, choisie parmi toutes les jeunes filles qui postulaient. Nous avions pris la fille Perzo, son père tenait le café en face de la rue Pillet à Triel, aujourd’hui, le « Chez nous ».

Pendant mon enfance, la vie à Pissefontaine paraissait facile.

En été, tout le monde se côtoyait. On sortait les chaises et on se réunissait sur la place des Marronniers ou sur la place Corroyer, on discutait, on riait. L’entraide était importante.

La fête foraine s’installait une fois par an dans le village. Les rues étaient fermées par les manèges. Sur la grande place, on organisait le bal, on dressait des mâts de cocagne. Beaucoup de monde venait admirer la retraite aux flambeaux ou encourager les participants des courses à vélo.

Il y avait 3 cafés :

-          celui fréquenté par le poète Paul Ford, rue des Réservoirs, « Chez la Blonde ». On y servait que du vin, du rouge ou du blanc, « le ginglet[1] et le guignolet »

-          chez Fortier, puis Jumeaux, l’actuel « chez Pascal », Grande rue de Pissefontaine, sur la place Corroyer. Il faisait aussi épicerie

-          et enfin, l’autre qui était aussi charcutier, « chez Vallon ». Il tuait le cochon et préparait lui-même sa charcuterie.

                         

                ID456 08 Maison Vallon                

Maison Vallon vers 1957

                           

 

ID456 09 Maison Giacometti

Porte d'entrée de la maison Giacometti

Il y avait M Fréaud, un grand avocat parisien, qui habitait l’ancien palais de justice du village et un sculpteur du nom de Giacometti qui habitait au coin de la rue des Tournelles et de la Grande Rue. Je revois un homme avec un chapeau et une barbe.

Il avait donné à ma grand-mère trois statues en remerciement de services donnés. Elle les avait laissées dehors, aux intempéries et elles avaient perdu un peu de leur splendeur.                                                                                              Un jour que je faisais des travaux de maçonnerie, j’ai eu besoin de remblai. J’ai pris les statues et les ai coulées dans le sol. Quel sacrilège… !

 

ID456 010 Chateau des Ifs

Pissefontaine et le Château des Ifs

Le jardin du château des Ifs recevait des scouts et des camps de vacances, après il a été laissé à l’abandon, puis la propriété vendue et détruite.

Les carrières dites des Saussaies étaient implantées à la place des immeubles de Bel Horizon. J’avais des copains polonais qui habitaient dans des maisons de carriers. Les anciens nous racontaient que c’étaient des vieux camions américains à bandage qui descendaient le plâtre au port ou à la gare à la place des chevaux et des tombereaux.

Voilà, quelques souvenirs. Je suis un peu nostalgique de ce temps ou tout le monde se connaissait et ou on se contentait avec peu.

 


[1] Le ginglet désignait autrefois le vin local produit dans la vallée de l'Oise jusqu'en Ile de France. Ce vin de qualité inégale et souvent aigrelet et pétillant, était parfois aussi appelé Ginglard ou Reginglard. ...

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