Les différentes étapes

18-Cheverchemont-La Propriété d'Octave Mirbeau

Localisation : Cheverchemont

Commémoration du centenaire de la mort d’Octave Mirbeau

Bonsoir à toutes et à tous,

Dans cette année centenaire de la mort d’Octave Mirbeau, voilà qu’encore une fois Triel est théâtre d'une commémoration de cette figure d'intellectuel injustement oublié. Un écrivain dont on a dit qu’il était sulfureux, révolté, excessif. Mais je crois qu’on a besoin aujourd’hui de retenir surtout son immense humanité, sa capacité de s’émouvoir, sa lucidité qui faisait de lui un homme moderne.

Triel commémore Mirbeau et pour cause : Mirbeau a été un concitoyen. En 1908, en recherche d’un endroit pour sa retraite, il a acheté un terrain à Cheverchemont, avec beaucoup de peine parce qu’il a dû convaincre une trentaine de petits propriétaires de céder leurs parcelles. Il y a fait bâtir une « claire maison aux murs lumineux dans le neuf des pierres et de la chaux, aux tuiles fraîches, aux peintures vives », comme raconte dans un article Georges Pioch, un journaliste ami qui lui rend visite en 1911. Triel est à l’époque un village paisible, ramassé autour de son église gothique aux vitraux polychromes, le long de la Seine, en toile de fond, les hauteurs verdoyantes de l'Hautil.

Octave et Alice s'installent dans leur villa en 1909 et ils y passent une bonne partie de leur temps (ils rentrent à Paris pour l’hiver, mais ils reviennent en Seine-et-Oise aux beaux jours). Dans sa maison, Mirbeau est entouré de la collection de ses oeuvres d’art préférées (il possède des tableaux de Monet, Van Gogh, Pissarro, Cézanne, des sculptures de Rodin et Maillol ; avec beaucoup de ces artistes il était lié d’amitié) et il jouit d’une vue époustouflante sur la vallée de la Seine. « C’est le plus beau pays du monde ! », confie-t-il à Pioch. Il cultive son potager et ses fleurs, quand la santé le lui permet, car il est de plus en plus malade. Il est content de recevoir la visite de quelques amis : le grand compagnon de toujours, le peintre impressionniste Claude Monet, et certains jeunes intellectuels : le peintre Francis Jourdain, l’écrivain Léon Werth, les dramaturges Edmond Sée et Sacha Guitry, le collectionneur d’art Georges Besson, la romancière Marguerite Audoux.

Il fait connaissance, en 1914, de deux jeunes écrivains francophones qui viennent d’Egypte et qui se sont installé eux aussi à Triel, sur la Grande Rue, pour terminer dans le calme leur roman, Albert Adès et Albert Josipovici. Personnellement, je suis

arrivée à Mirbeau en étudiant les documents inédits d’Albert Adès, qui a fréquenté et admiré Mirbeau. J’ai acheté en 2009 la maison où Adès a vécu et depuis je cherche à reconstruire son histoire.

En juillet 1914, Adès et Josipovici sont reçus par Mirbeau à Cheverchemont. C’est le début d’une fréquentation qui continue jusqu’en 1916, jusqu’à la mort de Mirbeau pour ce qui concerne Adès, qui ira le voir aussi à Paris. Adès a laissé dans ses notes des récits passionnés et passionnants sur les après-midi passés à Cheverchemont, pendant lesquels Mirbeau parlait en toute liberté avec ses jeunes hôtes, qu’il avait rebaptisés « les Sages », et qu’il submergeait avec le feu d’artifice de ses souvenirs et de ses allocutions tonitruantes sur l’art, la littérature, la nature, la guerre.

Aujourd’hui oubliés, Adès et Josipovici publient leur roman en 1919. Le livre de « Goha le Simple », un récit d’ambiance égyptienne, a donc été écrit à Triel, et a été préfacé par Mirbeau qui a lu le manuscrit et qui était enthousiaste. Goha racontait la vie, des faits vrais et sans fards, affirme-t-il dans la préface. Ça correspond à son idéal de littérature comme il le répétait à Adès et Josipovici pendant leurs rencontres. J’étudie actuellement le manuscrit de Goha le Simple et ses différences par rapport à l’édition : je peux assurer que la manière d’écrire d’Adès et Josipovici a radicalement changé après la rencontre avec Mirbeau. D’une narration encore très lyrique, très chargée d’adjectifs, très romantique, ils sont passé à un style nerveux et épuré, extrêmement efficace dans la présentation des personnages.

Le Livre de « Goha le Simple » connaît, à son époque, un énorme succès : il est traduit en sept langues et arrive à la deuxième place au Prix Goncourt 1919 (après Proust). Il sera adapté pour la scène et représenté à l’Odéon en 1939, et il inspirera un film de Jacques Baratier en 1957, primé au Festival de Cannes.

Mais revenons à Mirbeau triellois. Je vous fais remarquer une chose: Mirbeau ne quittera plus Triel après qu’il s’y soit installé. Il passera ses hivers à Paris, pour plus de confort, surtout pendant les années de la guerre. Mais c’est extraordinaire cette fidélité, après une vie d’errances résidentielles, qui révèlent beaucoup de son inquiétude existentielle (il a habité à Audierne, dans le Finistère, à Kerisper, dans le Morbihan, à Noirmoutier, à Cormeilles-en-Vexin, aux Damps…toujours en revenant à Paris où il avait ses relations dans le milieu de la presse et de la culture). Il reviendra à Triel jusqu’à la fin de sa vie, et sa veuve continuera d’habiter la villa pendant plusieurs années.

En 2017, Triel a donc choisi de célébrer ce « triellois d’exception » de plusieurs manières, dans l’attente d’accueillir, espérons-le, l’Assemblée Générale de la Société des Amis d’Octave Mirbeau en 2018. Je voudrais ici souligner le travail extraordinaire de la compagnie théâtrale de la ville, les Comédiens de la Tour, car le théâtre c’est la meilleure manière, la plus vivante et immédiate, de valoriser Mirbeau et de le faire (re)découvrir au grand public. Les Comédiens ont mis leur saison 2016-2017 aux couleurs mirbelliennes. Ils ont représenté, en décembre 2016, «Mirbeau fait des siennes », une mosaïque de textes restituant l’univers varié dans lequel le polémiste évoluait, et ont montré que le monde, en cent ans, n’a pas vraiment changé ; en février, pour la journée du centenaire, on a vu les quatre savoureux tableaux de « Farces et moralités », dont j’ai personnellement adoré L’Epidémie, car elle reste d’une brûlante actualité. À ces deux spectacles, j’ajouterai aussi « Dreyfus, l’affaire», que les Comédiens de la Tour ont joué en avril, vu l’implication de Mirbeau dans cet événement-clé de l’histoire française.

Ça, c’était pour le théâtre. L’association Triel, Mémoire & Histoire a consacré à Mirbeau une conférence, qui a eu lieu le 11 mars à la salle Grelbin, sur le thème dont je vous parlais avant: les fréquentations entre le jeune écrivain égyptien Albert Adès et le grand Octave Mirbeau au crépuscule de sa vie. Pour Adès, Mirbeau était le Maître qui lui avait fait le don inouï de partager son temps et son savoir. Mais je pense que pour Mirbeau, Adès a été une bouffée d’ambition et d’enthousiasme qui lui a fait revivre sa jeunesse.

Une exposition sur la vie de Mirbeau se prépare, je crois. D’ailleurs une autre ouvrira ses portes à Poissy en octobre prochain, et au Théâtre de Poissy sera mis en scène « Rédemption », oratorio théâtral de l’acteur et réalisateur belge Antoine Juliens.

 

Elena Fornero-Sandrone, extrait d’une intervention, du 8 juin 2017, à Triel-sur-Seine, sur la Péniche « Arche Espérance ».

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